Chroniques d'exil
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[Présentation] Amrapali

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Message par Elaine 12.10.17 22:05

[Présentation] Amrapali 716184Nom

« Tu contiens dans ton œil le couchant et l'aurore ;
Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
Qui font le héros lâche et l'enfant courageux.
»
C. Baudelaire, "Hymne à la beauté", Les Fleurs du Mal.


Manudev se tenait assis parmi ses courtisans. Tous avaient le regard tourné vers la scène de marbre blanc qui se dressait au milieu du temple. Amrapali y était immobile. Les derniers rituels avaient été rendus et les dernières prières récitées, la danse pouvait commencer. Le roi de Vaishali n’avait jamais vu cette fille mais il en avait entendu parler. On racontait qu’elle était si belle qu’un prince du nom de Mahanaman avait abandonné son royaume pour pouvoir vivre au plus près d’elle. Le roi n’avait pas pour habitude d’accorder crédit à ce genre de rumeur mais cela attisait malgré tout sa curiosité.

Amrapali redressa le buste. La dupatta qui recouvrait son visage coulissa pour le révéler, s’effondrant mollement sur ses épaules. Le souffle de Manudev se suspendit. Elle était toute entière couverte de bijoux dorés ; des colliers enserraient sa gorge fine, des diadèmes rutilaient sur son front, des bracelets et des verroteries cerclaient ses poignets comme ses chevilles, ses doigts et ses orteils étaient sertis d’une multitude de bagues. Elle portait une tunique lamée d’or descendant à la moitié de la cuisse ainsi qu’un shalwar de soie, maintenu à la taille par une ceinture de cachemire. L’ensemble était d’un vert émeraude qui s’accordait à merveille avec l’or de ses parures.

Sa chevelure de jais, régulièrement divisée en deux parts, encadrait les contours harmonieux de son visage en délimitant le galbe de ses pommettes aux teintes cuivrées. Elle avait des yeux taillés en amande, frangés de longs cils soyeux et surplombés de sourcils d’ébène. Ses prunelles étaient si noires qu’elles en paraissaient bleues. Sa bouche, close et hiératique, était rouge comme la fleur du grenadier. Ses bras, minces et fuselés, s’étaient rejoints devant elle sans se croiser et ses mains vermeilles étaient liées l’une à l’autre par quelque posture dévote. Ses petits pieds nus, décorés d’arabesques de henné rouge, se tenaient sur la pointe dans un équilibre fragile mais maîtrisé. Sa taille fine rehaussait la cambrure de ses reins arrondis et les courbes convexes de sa poitrine orgueilleuse.

Les premières résonnances du pakhavaj envahirent la salle et les derniers bavards achevèrent de se taire. Puis ce furent les notes cristallines du sitar qui se mirent à résonner. La mélodie était lente mais cadencée. Amrapali commença à danser. Ses mains s’abaissèrent pour saisir délicatement l’étoffe damasquinée de sa tunique, et la relever en un pli asymétrique. Au début, ce ne furent que ses pieds qui bougèrent, heurtant le sol par le talon puis par la pointe en réponse au rythme des percussions. Puis elle releva davantage le mollet à chaque coup, donnant une plus grande impulsion à ses pas immobiles. Le tintement des grelots, fixés à ses chevilles, dialoguait avec le son calme des instruments.

Ses bras suivaient le mouvement, relâchant ou renforçant l’emprise sur le pan de tunique que ses doigts gardaient captifs. Le rythme de la musique s’accéléra peu à peu, il en fut de même pour celui de ses pas. Tantôt son pied retombait légèrement sur le côté, écartant la jambe et faisant bruire l’étoffe, tantôt il se reposait de face. Son visage également, paré d’un sourire humble, se mouvait dans la même direction. Son regard se jetait sur le sol avant de se relever brusquement pour se poser sur l’assemblée. Puis les hanches et le buste se mirent à onduler légèrement, donnant davantage d’amplitude à la danse. Parfois, le rythme des percussions s’éteignait subitement, lui laissant le loisir d’effectuer quelque mouvement lent et gracieux. La pointe de son pied frôlait alors le marbre en décrivant un long cercle parfaitement exécuté.

Au bout de quelques minutes de danse, elle relâcha la tunique sur ses jambes pour exécuter quelques tours sur elle-même. Le tissu s’élevait alors en une corolle scintillante, dévoilant la grâce de ses cuisses sous l’étoffe fine qui les épousait. Ses bras, souples du poignet jusqu’aux épaules, se joignirent aux frémissements du corps en se pliant et se dépliant pour décrire de savantes spirales que tempérait la rigidité de ses mains. Ainsi se mit-elle à circuler sur la scène et à enfin prendre possession de l’espace qui lui était donné. La voix de la chanteuse, qui se tenait en contrebas de l’estrade, retentit alors.  

Elle racontait, comme il était de tradition, l’un des épisodes du grand livre sacré : le Mahabharata. La scène narrée était celle du mariage de la princesse Draupadi, devenue l’épouse commune des cinq frères Pandava. La chanson, proclamée sur un ton perçant et sibyllin, acheva de donner au spectacle sa dimension envoûtante et hypnotique. La danseuse devint ainsi successivement les cinq frères, déguisés pour participer au svayamvara, la princesse impatiente de découvrir qui obtiendrait l’honneur de la prendre pour épouse, mais aussi la flèche que les prétendants devaient tirer sur une cible mouvante qu’ils ne pouvaient regarder. Elle fut l’huile ondoyante qu’ils contemplaient à leurs pieds pour parvenir à viser, le sifflement désespéré des flèches qui échouèrent, le hurlement de la foule lorsque le cinquième d’entre eux remporta l’épreuve. Elle prit tour à tour le visage de la déception, celui de l’espoir, puis de la gloire. La technicité de la danse était suffisamment maîtrisée pour que les spectateurs oubliassent d’y être attentifs. Tous, silencieux, étaient plongés dans le récit.

Les dernières notes retentirent et l’histoire se termina. Amrapali maintint quelques instants sa posture finale : le visage de profil tourné vers un bras relevé, l’autre bras tendu vers l’arrière, les mains figées et le port altier. Les applaudissements succédèrent à la musique. La danseuse se relâcha doucement. Son buste, haletant, se soulevait régulièrement au rythme intense de sa respiration. Elle avait dans son épuisement une certaine vulnérabilité qui la rendait plus belle encore. Manudev ne l’avait pas quittée du regard. Il sentit ses mains trembler. Depuis ce jour, il n’eut plus qu’une obsession : Amrapali devait être sienne.

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« Il vaut mieux bien faire le mal que mal faire le bien. »
Ovide, Métamorphoses.

Ajatashatru était paisiblement étendu dans l’ombre des tentures qui garnissaient les murs de leurs couleurs irisées. Sa main droite reposait contre l’oreiller, relâchée. Son bras gauche s’était sagement rangé contre son flan. Un fin voile vert amande recouvrait partiellement son corps inerte. Amrapali était nue à la fenêtre, immobile. Son épaisse chevelure sombre coulait jusqu’à ses reins en de noirs sillons, en harmonie avec le teint hâlé de sa chair. La nuit portait une brise légère jusque dans le palais. Dehors tout était calme.

Elle se tourna de trois-quarts pour contempler le cadavre d’un regard sinistre. Elle n’éprouvait pas le moindre regret. Dès qu’elle posait les yeux sur lui elle revoyait sa chère patrie, Vaishali, en cendres. Amrapali esquissa quelques pas dans la pièce avant de s’arrêter face à un grand miroir encadré d’or et de pierreries. Elle toisa durement son reflet. Elle était belle. Cette beauté, conjuguée à sa finesse d’esprit et à ses talents artistiques, faisait d’elle un être redoutable. Cependant, elle la percevait également comme une terrible malédiction.

Née dans la plus haute caste de Vendhya, les brāhmaṇa, elle avait pourtant été gâtée à la naissance. Elle avait reçu la meilleure éducation qu’on pût espérer en ces terres, et excellait à la danse comme à la cithare. Dès son plus jeune âge, elle s’était prise d’un amour intense et réciproque pour Pushpakumar, lui aussi issu des brāhmaṇa. Ainsi, tout présageait pour elle une vie paisible et heureuse. C’était sans compter sur l’attraction mystérieuse qu’elle avait, dès son plus âge, exercée sur ceux qui croisaient son chemin…

Elle ferma les paupières quelques instants, se dérobant à sa propre contemplation. La vengeance n’avait pas eu le goût espéré. Elle se détourna du miroir et s’avança vers le lit pour scruter calmement le visage du défunt. Il portait sur son cou les stigmates purpurins de l’étranglement qui lui avait ôté la vie. Auprès de son visage serpentait le foulard vert qu’elle avait noué autour de son cou. Sa souffrance n’avait pas étanché la soif d’Amrapali. Elle avait tant de morts à venger. Elle glissa lentement ses doigts fins vers le foulard pour le saisir et le glisser au-dessus de ses cheveux.

Puis elle se rhabilla tranquillement. Elle ne chercherait pas à dissimuler ce meurtre. Ils ne pouvaient la tuer. Elle était une Nagarvadhu, vénérée comme une déesse. Quand bien même elle venait de commettre un régicide, nul n’oserait lever la main sur elle. Elle enfila ses bijoux les uns après les autres, chargeant ses poignets et ses chevilles de lourdes dorures aux tintements mélodieux. Un long sourire étira ses lèvres rouges. Il était temps d’annoncer que le roi de Magadha était mort, vaincu par la courtisane de Vaishali. Peu importait le destin que les dieux lui réserveraient. Elle avait souvent souffert et elle avait beaucoup perdu, mais jusqu’ici elle avait survécu à tous ceux qui l’avaient blessée.

« Puisse Kali me protéger », souffla-t-elle avant de quitter la chambre et d’aller affronter les caprices de la fortune.


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Elaine

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